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Trafic de drogue Enfants mules : une situation préoccupante

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L'implication d'enfants dans le trafic de drogue à Maurice suscite de vives inquiétudes chez les travailleurs sociaux. Ces jeunes vulnérables sont recrutés et exploités par des trafiquants afin de ne pas éveiller les soupçons de la police. Ils agissent comme passeurs (mules). Cette exploitation des mineurs est considérée comme un phénomène grandissant. 

Imran Dhannoo, travailleur social et président du centre Dr Idrice Goomany .
Imran Dhannoo, travailleur social et président du centre Dr Idrice Goomany . 

Si Maurice lutte déjà contre la recrudescence, le rajeunissement et la féminisation de la toxicomanie, un phénomène alarmant gagne du terrain. Des enfants se retrouvent impliqués dans le trafic de drogue et endossent le rôle de passeurs également connus comme des mules. Cette infantilisation de la drogue préoccupe sérieusement les travailleurs sociaux qui tirent la sonnette d'alarme. Selon eux, ces enfants, souvent vulnérables et manipulables, se voient contraints d'endosser le rôle de « passeurs » afin de satisfaire les besoins d'un marché en constante expansion.

Des travailleurs sociaux, souvent en première ligne pour aider les personnes touchées par la toxicomanie, expriment leur profonde inquiétude face à cette situation préoccupante. Ces enfants, qui devraient normalement être protégés et éduqués, se retrouvent plongés dans un univers dangereux et traumatisant. Ce qui n’est pas sans conséquences pour leur développement physique et psychologique.

Subterfuge 

« Extrêmement grave et préoccupant ». Ce sont les mots du travailleur social et président du centre Dr Idrice Goomany, Imran Dhannoo. « Ceux qui dans le ‘business’ ne lésinent pas sur les moyens pour continuer le trafic de la mort. Le fait que ces gens-là exploitent un enfant de six ans - qui est en développement et qui n’a pas de conscience cognitive pour comprendre ce qu’il fait et transporte -, démontre que ces personnes pensent que la police ne va pas inquiéter l’enfant », dit l’intervenant avec tristesse. 

Sam Lauthan, travailleur social et ancien assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue.
Sam Lauthan, travailleur social et ancien assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue.

Imran Dhannoo indique que ce phénomène est « très présent » dans les pays où le trafic de drogue fait des ravages, comme au Kenya et au Nigéria où il y a des enfants ‘dealers’. « Ce qui est dommage, c’est que les trafiquants oublient que ces enfants sont innocents et que la loi préconise qu’on les protège des abus. Faire d’eux des mules est un abus. Cette situation doit nous interpeller », lance le travailleur social. 

« Le mécanisme utilisé pour impliquer ces enfants dans le trafic de drogue est varié et insidieux. En effet, les trafiquants exploitent leur innocence et leur vulnérabilité en les recrutant surtout dans des quartiers défavorisés. Ils les entraînent ensuite dans un cycle infernal en les manipulant et leur promettant une rémunération ou des avantages matériels en échange de leurs services », dit-on.

Infantilisation 

« Il est important de savoir de quel milieu l’enfant de six ans est issu. C’est Mozart qu’on assassine. Dans ce cas précis, c’est un enfant de six ans qu’ils assassinent psychologiquement et moralement. On doit aussi se demander comment des parents peuvent-ils accepter que leur enfant soit une mule, empêtré dans ce cercle infernal. L’infantilisation des mules doit interpeller. Quelque part, cela démontre la misère humaine et les conditions précaires dans lesquelles vivent certaines personnes. Zot tante ek zot servi zot zanfan pou trafik ladrog », souligne Imran Dhannoo qui ajoute que c’est très complexe vu que l’enfant n’a pas de « responsabilité criminelle » en dessus de 14 ans. 

Ingéniosité 

Sam Lauthan, travailleur social et ancien assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue, affirme que la situation « va de mal en pis ». « Avec des enfants qui sont utilisés comme mules, la situation devient encore plus grave. Je parle de rajeunissement et de féminisation depuis des décennies. Je ne cesse de dire que la mafia est tellement ingénieuse, dispose de ressources et fait tout pour contourner les lois », explique-t-il. 

Sam Lauthan poursuit que si des enfants sont utilisés comme passeurs, c’est parce qu’on sait que la police ne va pas suspecter des mineurs. Il dit détenir d’autres renseignements. « Des personnes handicapées sont utilisées également comme mules. En se servant des enfants comme c’était le cas il y a quelques années, la mafia essaye de dérouter les autorités. Ce qui est très grave. Ces personnes ont un cœur en pierre. Nous, les travailleurs sociaux, nous essayons d’essuyer quelques larmes, mais eux sont aveugles. Pour de l’argent, ils sont devenus des monstres prêts à tout, même exploiter des enfants », s’indigne Sam Lauthan. 

Urgence 

Edley Maurer, travailleur social et Manager de l’ONG Safire.
Edley Maurer, travailleur social et Manager de l’ONG Safire.

Pour ceux sur le terrain, une sensibilisation accrue est nécessaire pour alerter la population sur ce fléau et encourager la dénonciation de toute activité suspecte impliquant des mineurs. Il faut prévenir et combattre cette forme insidieuse d'exploitation de l'enfance, lancent plus d’un. 

D’ailleurs, Edley Maurer, travailleur social et Manager de l’ONG Safire, parle d’un cercle vicieux. « Il y a urgence sur le terrain. Il y a trop d’argent facile qui circule. L’ironie, c’est que des entreprises évoquent un manque de main-d’œuvre, alors que sur le terrain, il y a un grand nombre de personnes au chômage. De nombreux jeunes ne s’intéressent pas à la formation professionnelle, mais préfèrent rester sur le terrain », dit-il. 

Le travailleur social estime que ce sont ces personnes qu’il faut toucher. « On doit leur faire comprendre que ce n’est pas l’argent facile qui va faire progresser le pays. Quand un enfant vit dans ce genre d’environnement et voit qu’on peut avoir de l’argent facile, il se laisse prendre dans cet engrenage. C’est grave », avance Edley Maurer qui ajoute qu’il y a un grand nombre de personnes qui dépendent des aides sociales et privilégient ainsi l’argent facile. 

« Il y a un gros travail à abattre pour que ces personnes comprennent qu’il y a des efforts à faire et qu’il faut travailler honnêtement pour gagner sa vie. ». Pour lui, la société mauricienne ne peut tolérer que ses enfants deviennent des victimes de cette sombre réalité.

Rita Venkatasawmy : « L’enfant n’a pas de discernement »

Rita Venkatasawmy L’Ombudsperson for Children est catégorique. Un enfant utilisé comme passeur dans le trafic de drogue ne peut être tenu responsable. « À six ans, un enfant n’est pas responsable. Ce sont ses parents qui sont responsables et consentissent à une telle activité. L’enfant n’a pas de discernement à cet âge et ne peut être accusé de rien. C’est l’adulte qui a sa charge qui est à blâmer. C’est un abus envers l’enfant alors que la Convention relative aux droits des enfants est claire : l’adulte a le devoir de protéger l’enfant qui est vulnérable », rappelle Rita Venkatasawmy.

 

Guetteurs, passeurs… Les petites mains du trafic de drogue 

Certains enfants agissent comme guetteurs, d’autres comme vendeurs et d’autres encore comme transporteurs.
Certains enfants agissent comme guetteurs, d’autres comme vendeurs et d’autres encore comme transporteurs.

Le rajeunissement de ceux mêlés, de près ou de loin, au trafic de drogue inquiète de plus en plus. Certains enfants ont à peine dix ans qu’ils sont déjà de plain-pied dans cet univers d’adultes. D’après des informations, des parents iraient jusqu’à encourager leurs enfants à travailler pour des trafiquants, histoire de se faire de l’argent pour faire bouillir la marmite. Ces enfants ramèneraient au minimum Rs 1000 à Rs 2000 par jour à la maison. Le Défi Plus a mené l’enquête.  

Ils sont âgés de seulement six à dix ans. Pourtant, des enfants sont plongés dans un univers où la drogue règne en maître. Certains sont jockeys, d’autres collecteurs d’argent et d’autres encore sont tout bonnement dealers. Souvent pris au piège dans un cycle infernal perpétué par leurs parents, ils reprennent le flambeau, comme si c’était le cours naturel des choses. Quel avenir pour ces enfants qui grandissent plus vite que prévu et de surcroît, dans un monde où ils ne devraient pas être ? 

L’enquête menée par Le Défi Plus démontre à quel point des enfants très jeunes sont mêlés, de près ou de loin, au trafic de drogue. Un dénommé A., âgé de 34 ans, a accepté de parler de la situation. Ce Portlouisien, qui a requis l’anonymat, a consommé de l’héroïne pendant 17 ans. Mais il veut à tout prix changer de vie. Pour ce faire, il envisage de se faire traiter au Centre d’Accueil de Terre-Rouge. S’il s’exprime aujourd’hui, c’est parce qu’il connaît cet univers et ses rouages. 

« Enn pran kas, lot servi » 

Des enfants agissent comme vendeurs ou livreurs, comme l’explique l’ancien toxicomane. « Bann zanfan la pa ‘dealer’ zot. Bann boss la servi zot pou servi ladrog dimounn. Kan dimounn vinn aste, bann zanfan la nek donn zot la ladrog. Parfwa ou pou trouv de zanfan : enn pran kas, lot la servi dimounn ladrog. Ena fwa swa zot pe servi klian, swa zot travay ar bann marsan. Sa zafer la kouma enn bizness lokal. Sakenn ena enn kiksoz pou fer. Ek zot pa per bann misie la (les policiers ; NdlR) », explique-t-il. 

Mais pourquoi choisir des enfants et non des adolescents ? « Li simp. Fer kouma dir lapolis pase ek trouv enn zanfan. Zot pa pou aret li parski zot dir zanfan sa. Bann trafikan eksplwat sa laks la », dit-il. 
Puis il y a des enfants « recrutés » comme guetteurs. Leur rôle : avertir les dealers de la présence de policiers. « Zot pa livre ladrog zot. Zot kas enn poz ek zot atann lapolis pase. Lerla zot krie : ‘Krapo, krapo, krapo’… Touletan ou pou trouv zor lor enn lakrwaze. Zot ena anviron 10 ans, parfwa mwins mem », relate un autre consommateur d’héroïne croisé en route. 

Lui-même n’a que 20 ans. Malgré son jeune âge, il a déjà touché à presque toutes les drogues, allant du cannabis à l’héroïne, en passant par les psychotropes et la drogue synthétique. Selon lui, les enfants impliqués dans le trafic de drogue perçoivent entre Rs 1 200 et Rs 1 500 par jour. « Ena enn ta fami pena kas. Zot les zot zanfan fer sa bann travay la », dit-il. 

« Se zot fami ki ramas kas la » 

Les périphéries de la capitale regorgent de jeunes et d’enfants impliqués dans le trafic de drogue. C’est d’ailleurs dans un des faubourgs de Port-Louis que Le Défi Plus s’est rendu pour glaner davantage d’informations sur des enfants qui agissent comme des transporteurs de drogue. 

Une habitante de la capitale, qui a accepté de se confier sur le sujet, relate comment certains trafiquants sans scrupules exploitent des enfants de tous âges. « Fer kouma dir kan misie-la (la police ; NdlR) vini, trafikan la nek dir zanfan la pran zafer la ale. Lerla zanfan la nek al kit zafer la lor enn lot zekter », précise-t-elle. 

Elle tient toutefois à faire ressortir que ces enfants « transporteurs » savent pertinemment ce qu’ils font car, la plupart, reçoivent des instructions précises de leurs propres parents. « Zot fami fini met zot dan siro… » Pour une journée de « travail », ces convoyeurs de moins de 10 ans touchent entre Rs 1 000 et Rs 2 000. Mais ces sommes, selon des informations, peuvent aller jusqu’à Rs 8 000 et Rs 10 000 par jour en fonction de la quantité de drogue qu’ils sont amenés à transporter et surtout dépendant des régions. 

Mais qui perçoit l’argent réellement ? « ‘Se zot fami ki ramas kas la !’ C’est la raison pour laquelle ces parents, dont certains sont toxicomanes, poussent leurs enfants à devenir des maillons du trafic de substances illicites. Ils savent que c’est un moyen de gagner de l’argent facilement », indique-t-on dans le milieu.  

José Ah-Choon : « Ces mini-passeurs reçoivent chaussures et vêtements » 

José Ah-Choon, responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, explique que les enfants exploités par les trafiquants de drogue et utilisés comme passeurs, sont issus de milieux difficiles où la nourriture est rare. « Certaines familles préfèrent rester tranquilles et laisser leurs enfants travailler pour des trafiquants si cela leur permet de gagner Rs 1 000 à Rs 2 000 par jour. Ce n’est pas tout. En sus d’argent, ces mini-passeurs reçoivent des chaussures et des vêtements de la part des trafiquants. Pouvez-vous l’imaginer ? Nous sommes tombés bien bas. La situation est très grave », soutient-il.

Danny Philippe : « Samem kas ki zot fami servi pou roul lakaz » 

Danny Philippe, chargé de prévention et de plaidoyer au sein de l’organisation non gouvernementale Développement Rassemblement Information et Prévention (DRIP), confirme que des enfants âgés de sept ans sont fortement impliqués dans le trafic de drogue. Il ajoute qu’ils agissent comme transporteurs, c’est-à-dire des mules. 

« Lorsqu’on les regarde, on ne les soupçonnerait même pas de faire cela », affirme Danny Philippe. Il attribue cette situation à la précarité de certaines familles. « Un enfant qui se trouve dans cette détresse n’a pas conscience de ce qu’il fait. ‘So fami inn bizin dir li ki ena enn komision la ek ki li bizin al kit sa. Zanfan la pou ekout li’ », explique-t-il. 

Danny Philippe n’est pas surpris. « Cela ne m’étonne pas qu’un enfant de six ans soit impliqué dans le trafic de drogue. Cela ne m’étonne pas non plus que certaines personnes utilisent leurs propres enfants dans le trafic de drogue pour leurs bénéfices. ‘Samem kas ki zot servi pou roul lakaz’. »

Pour Danny Philippe, le combat contre la drogue ne se limite pas à la répression. Il estime qu’il faut revoir tout le système car, dit-il, « tout tourne autour de la pauvreté ». 

 

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