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Ingérence dans un procès : les sanctions pour l’avocat

Le dernier mot revient à la Cour suprême.
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Que prévoit la loi en cas d’ingérence ou d’influence d’un avocat ou d’une tierce personne dans un procès pénal ou civil, voire une enquête policière ? Éclairage avec deux juristes.

Dans une lettre en date du 13 avril au Bar Council, Me Lovendra Nulliah, le représentant légal de la Commission anticorruption, laisse entendre que Me Rishi Hurdoyal aurait tenté de l’« influencer » dans le cadre d’un procès intenté au dénommé Khalil Ramoly (voir encadré). Comment le Conseil de l’ordre des avocats procède-t-il face à une plainte d’ingérence dans un procès ou une enquête policière ? 

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Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul est la présidente du Bar Council.

Selon la présidente Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, s’il s’agit d’une plainte pour infraction au code déontologique des avocats, dans ce cas, le Bar Council est tenu par la loi de mener une enquête. « La loi envisage une résolution amiable si le dossier s’y prête. Il va de soi qu’une résolution amiable n’est pas possible dans certains cas, compte tenu de la gravité de la plainte », explique-t-elle.

La première étape, indique-t-elle, consiste à permettre à l’avocat visé de fournir ses explications par écrit. Si celles-ci ne semblent pas convaincantes ou satisfaisantes, il sera convoqué à une audience devant le Bar Council. « La loi exige également que l’on donne à l’avocat incriminé l’opportunité d’être entendu par le Conseil avant qu’une décision ne soit prise. »

À l’issue de l’enquête, le Bar Council peut émettre une « réprimande » ou une « réprimande sévère ». Dans ce cas, ajoute-t-elle, l’avocat concerné peut faire appel de cette décision s’il le souhaite. Le Conseil peut également référer les cas les plus graves à la Cour suprême. 

Qu’advient-il de l’avocat entre-temps ? Selon la présidente du Bar Council, en conformité avec la présomption d’innocence, il peut continuer d’exercer jusqu’à ce que l’affaire soit entendue et qu’une décision soit prise par la Cour suprême. Le Bar Council détient-il le pouvoir d’instituer un comité disciplinaire contre l’homme de loi ? « Non, c’est du ressort de la Cour suprême », répond Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul.

Dans des cas où l’Attorney General estime qu’un comité disciplinaire doit être institué contre un avocat, il peut saisir le dossier de sa propre initiative et soumettre un rapport détaillé à la Cour suprême ainsi qu’à l’avocat concerné, précise-t-elle.

Que risque l’avocat par la suite ? « Si la Cour suprême sanctionne l’avocat par une suspension ou une radiation du barreau, le Conseil peut également le suspendre ou annuler son adhésion à la Mauritius Bar Association. » 

Le Bar Council a-t-il reçu dans le passé des plaintes pour ingérence visant un avocat dans un dossier ? Selon Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, le Conseil reçoit toutes sortes de plaintes qui ne se ressemblent pas nécessairement. Celles-ci sont confidentielles. Estime-t-elle, en tant que présidente du Bar Council, qu’il faut revoir nos législations ? « Absolument », soutient-elle. D’ailleurs, des représentations ont déjà été faites à l’Attorney General à ce sujet.

Les explications de Me Rishi Hurdoyal attendues

L’ordre des avocats a réclamé, le 19 avril, des explications à Me Rishi Hurdoyal. Ce, à la suite d’une plainte déposée par son confrère, Me Lovendra Nulliah, représentant légal de l’Independent Commission Against Corruption (Icac).

Dans sa lettre au Bar Council datée du 13 avril, le représentant légal de l’Icac est revenu sur l’incident qui s’est produit le 8 mars dernier, alors qu’il se trouvait devant la Financial Crimes Division, une unité de la cour criminelle intermédiaire, dans le cadre d’un procès intenté à Khalil Ramoly. Me Rishi Hurdoyal l’aurait approché et lui aurait dit en se référant à Khalil Ramoly : « Nou dimoun sa, get enn kou ki to kapav fer. To pa pou perdi ar nou… » 

Me Lovendra Nulliah a précisé dans sa lettre que ce jour-là, Me Rishi Hurdoyal ne représentait pas officiellement Khalil Ramoly, mais qu’il était présent à chaque fois que ce dernier se présentait devant l’instance.

Il qualifie le comportement de son confrère comme une tentative de l’influencer pour qu’il utilise sa position comme « Prosecuting Counsel » afin que le procès soit favorable à l’homme d’affaires. L’avocat dit avoir également rapporté le cas à l’Icac et au magistrat Kevin Rangasamy qui préside ledit procès. Il a aussi fait une entrée dans le « Diary Book ». 

Me Richard Rault : « L’avocat risque de perdre sa profession » 

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Me Richard Rault.

Pour Me Richard Rault, il est important de savoir ce qu’est l’ingérence. « L’ingérence n’est certainement pas un conseil ou un avis qu’un collègue peut donner à un autre », affirme l’homme de loi. L’ingérence signifie littéralement intervenir dans ce qui ne vous concerne pas, en essayant d’influer en faveur d’un intérêt personnel ou d’une cause qui n’a rien à voir avec le procès en cours, dit-il.

« Cela suppose bien entendu une intention malveillante ayant pour but de fausser le cours normal de la justice », souligne Me Richard Rault. Ainsi, un avocat qui subit une ingérence voit sa stratégie ou la tactique qu’il veut présenter, ses preuves ou ses témoins être modifiés par cette ingérence qui se veut tendancieuse et contraire à l’objectif de la justice. « Littéralement, il s’agit de saboter l’entreprise de justice. »

L’avocat concerné s’expose à des sanctions disciplinaires de la part du Bar Council. Celles-ci n’empêcheront pas des poursuites pénales d’être engagées contre l’avocat s’il y a eu infraction au code pénal. Cependant, le Bar Council, précise Me Rault, n’a pas le pouvoir d’enlever la toge à l’avocat. Cette prérogative relève de la Cour suprême. 

Que se passe-t-il si un citoyen se rend coupable d’ingérence dans une affaire judiciaire ? Il est possible qu’il fasse face à des poursuites pénales, répond Me Richard Rault. « Il faut bien comprendre que les avocats, comme tous les juristes, ont une double mission : faire respecter et préserver la loi. » C’est pour cette raison qu’ils sont souvent sanctionnés plus sévèrement en cas de faute par rapport à un simple citoyen. « En plus de la peine pénale, nous risquons de perdre notre profession. Porter une toge et un beau costume ne suffit pas, nous devons mériter le droit de les porter et nous montrer dignes de notre profession. »

Comment éviter que cela se produise ? Selon Me Richard Rault, le cadre juridique légal mauricien est suffisamment élaboré pour traiter ce genre de problèmes. Presque chaque année, le Bar Council reçoit des plaintes. « Le Code pénal sert à réprimer les crimes mais pas à les empêcher. Malheureusement, l’esprit humain est encore doté de méchanceté. Quoi qu’on imagine, il y aura toujours des gens qui se croiront plus malins pour contourner ou enfreindre les lois. À tort ! »

 

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