Conditions de détention : jusqu'à quatre fois plus de décès en cellule à Maurice

Eddyssen Patchee Les proches d’Eddyssen Patchee veulent la vérité.

La mort d’Eddyssen Patchee en détention policière était la 65e en 39 ans, selon un travail de compilation effectué par Lalit. Une comparaison avec des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni indique que le nombre de décès par million d’habitants à Maurice est jusqu’à quatre fois supérieur à ces pays.

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Le décès d’Eddyssen Patchee en cellule policière, le lundi 26 mars 2018 est le 65e en presque 40 ans. Le parti politique Lalit compile une liste depuis 1979 en se basant sur les rapports de la National Human Rights Commission (NHRC) et les articles de presse, ainsi que les dénonciations des proches. Les 65 décès comprennent les cas avérés de brutalité policière et de suicide. Si le chiffre en lui-même a de quoi horrifier, une comparaison avec d’autres pays avancés rend la situation encore plus inquiétante : il y a jusqu’à quatre fois plus de décès dans les cellules policières à Maurice par million d’habitants par rapport à l’Australie, par exemple.

Un rapport intitulé « Deaths in police custody: A review of the international evidence » publié en octobre 2017 par le ministère de l’Intérieur britannique, livre quelques éléments révélateurs à ce sujet. Le rapport compare les données disponibles en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Écosse à celles de l’Angleterre et du Pays de Galles. Les périodes de collecte des données diffèrent selon les pays et le ministère de l’Intérieur donne donc l’équivalent britannique pour chaque période correspondante aux pays.

Cinq décès en 1998

En faisant le calcul à partir des noms compilés par Lalit, on se rend compte de la gravité de la situation de l’île Maurice comparée à ces pays. Alors que l’Australie compte en moyenne 0,3 décès par an en cellule policière par million d’habitants pour la période 2003/04 - 2012/13 ; pour Maurice ce chiffre est de 1,4 pour la même période. Soit plus de quatre fois à celui de l’Australie. Pour la Nouvelle-Zélande, durant la période 2000-2010, ce chiffre est de 0,6, alors que pour Maurice, il est de 1,8. Trois fois plus de décès donc. Il n’y a qu’en comparaison à l’Écosse pour la période 2013/14 - 2014/15 que Maurice fait mieux (0,7 contre 0,8). Les décès en cellule policière durant ces périodes pour l’Angleterre sont également inférieurs à ceux de Maurice.

Quant à l’évolution du nombre de décès sur une base annuelle à Maurice, on note une réduction notable après 2010, alors que les années 90 voyaient régulièrement plus de trois décès par an, l’année 1998 voyant même un pic de cinq décès.

Toutefois, Me Anoup Goodary, avocat qui représente les membres de la famille d’Eddyssen Patchee, estime que les 65 noms ne reflètent pas la réalité. « Il s’agit uniquement des cas rapportés, explique-t-il, je crois qu’il doit y en avoir bien plus qui n’ont jamais été exposés au grand jour. »

Qu’est-ce qui explique ce nombre important de décès en cellule policière pour l’avocat ? L’impunité. « Vous avez déjà vu un policier aller en prison pour meurtre ? demande-t-il. Tant qu’on ne poursuivra pas un policier devant les assises pour meurtre, rien ne changera. Cette culture d’impunité perdurera. » Une opinion partagée par plusieurs des interlocuteurs sollicités par Le Défi Quotidien sur le sujet.

C’est notamment le cas de Lindsay Morvan, de l’association Justice, qui collabore notamment avec Lalit contre la violence policière. « Un des plus gros problèmes, c’est l’impunité, explique-t-il. Tous les citoyens qui abusent de leur position doivent subir le même traitement. Malheureusement, quand un policier ou, de manière plus générale, un  fonctionnaire fait quelque chose de mal, le ministre de tutelle se sent dans l’obligation de le protéger. » Ce dernier souligne également qu’aucun policier n’a fait de la prison pour le décès d’un détenu.

Manque de preuves

Bien souvent, le manque de preuves explique que les policiers s’en sortent. Me Hervé Lasémillante, président de la National Preventive Mechanism Division de la National Human Rights Commission (NHRC), rappelle le cas Labrosse en 1993. Il était alors l’avocat de la famille. « On a fait déterrer le corps pour pratiquer une contre-autopsie, relate-t-il. Le problème, c’est qu’à l’époque, c’est la police qui enquêtait sur la police. Les officiers avaient été poursuivis, mais ils s’en sont sortis par manque de preuves. »

Celle qui est responsable des enquêtes sur les violences policières, Marie-Lourdes Lam Hung, chef de la Police Complaints Division (PCD) et également vice-présidente de la NHRC, explique la difficulté de rassembler des preuves. « Ce chiffre de 65 décès est choquant, réagit-elle. Mais dans certains cas, on ne peut prouver la culpabilité des officiers. Dans le cas de Ramlugon, par exemple, pas moins de 50 policiers se sont occupés de lui. On ne sait pas qui est coupable. C’est difficile d’avoir des preuves pour identifier les responsables. » S’il est difficile de ferrer ceux qui donnent les coups, on approche la mission impossible quand il s’agit de réclamer des comptes aux officiers qui se rendent complices par leur silence.

Toutefois, Marie-Lourdes Lam Hung se montre optimiste concernant le dossier Toofany, référé au Directeur des poursuites publiques : « On sait que le dossier est solide. Malheureusement, les choses tardent en cour, mais on ne peut qu’attendre… » Outre l’attente, notre interlocutrice explique avoir émis plusieurs recommandations pour réduire au maximum les décès en cellule : avoir des caméras de surveillance qui fonctionnent, des équipements pour les premiers soins, un formulaire à remplir pour signaler les allergies et les conditions médicales, une meilleure formation des officiers.

À la question de l’impact du Police and Criminal Evidence Bill, tous donnent pratiquement la même réponse. « C’est un joli nom, mais il faut en connaitre le contenu », réagit Me Goodary. Remarque quasi identique à celle de Me Lasémillante. Quant à Lindsay Morvan, il déclare son scepticisme : « Les lois, on en a déjà tout un paquet ! Le problème, c’est l’application. Prenez l’exemple des ‘protection orders’. Combien de femmes se font battre malgré cela ? »


Décès de Patchee : début de l’audition des témoins

L’enquête de la Police Complaints Division sur les circonstances du décès d’Eddyssen Patchee démarre réellement aujourd’hui, indique Marie-Lourdes Lam Hung. Cette dernière a déclaré au Défi Quotidien que la PCD démarrera l’audition des témoins durant la journée. Processus qui se poursuivra durant les jours qui viennent.


 

Lindsey Collen : « L’État doit publier une liste officielle »

La liste compilée par Lalit peut ne pas représenter le nombre réel de décès en cellule policière, puisqu’elle dépend des cas qui ont éclaté au grand jour. « Nous avons essayé d’aider un maximum de familles des victimes, surtout pour que l’État admette sa responsabilité, explique Lindsey Collen, mais Lalit demande que l’État publie la liste officielle du nombre de décès en cellule policière. »

La liste de Lalit a démarré en 1979, avec le décès de Serge Louis Victorine, évadé de la prison de Beau-Bassin et rattrapé par les forces de l’ordre. Les membres de sa famille avaient fait appel aux services de Ram Seegobin en tant que médecin et ce dernier avait conclu qu’il était mort des suites de blessures infligées par des coups, alors qu’officiellement, il avait fait une réaction à des médicaments.

Décès annuels en cellule policière par million d’habitants
Pays 2003/04 - 2012/13 2000 - 2010 2013/14 - 2014/15
Australie 0,3 - -
Nouvelle-Zélande - 0,6 -
Écosse - - 0,8
Angleterre et Pays de Galles 0,4 0,5 0,2
Île Maurice 1,4 1,8 0,7
 

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